Connaissez-vous les huiles essentielles de Ravensara aromatica ou Hazomanitra ?

Valorisation durable et soutenue des produits forestiers non ligneux issus des espèces endémiques et aromatiques malgaches : Cas de Ravensara aromatica, Cinnamosma fragrans et Cedrelopsis grevei. Communication présentée au Forum de la Recherche 5ème édition sur Biodiversité et Objectifs du Développement Durable des 14 au 16 juin 2017 à Antananarivo, Madagascar.

Source: Andrianoelisoa et al. / DP Forêts et Biodiversité. 

Peut-on réduire la pauvreté tout en protégeant les forêts naturelles ? Les chercheurs du Dispositif en Partenariat Forêt et Biodiversité nous répondent : assurément, oui ! Pour cela, il faut aider les communautés riveraines à augmenter leurs revenus grâce à une utilisation durable des produits de ces forêts. Cet article vous permettra de connaître les efforts fournis par la Recherche pour une meilleure exploitation des huiles essentielles de Ravensara aromatica par ces communautés riveraines.  

Les Huiles Essentielles : un marché florissant et plein d’avenir

Généralement, protéger les forêts naturelles signifie en interdire l’accès, surtout aux populations riveraines. Justement, ces dernières vivent de ces forêts naturelles, et pas forcément en les détruisant : elles connaissent les mille et un usages - notamment en pharmacopée - des différentes parties de ces formations. Il n'est donc pas dans leur intérêt de détruire la forêt et ils peuvent  apporter une collaboration précieuse pour leur conservation.

Pour les chercheurs du Dispositif en Partenariat Forêt et Biodiversité (DP F&B), l’exploitation des produits forestiers non ligneux constitue une porte d’entrée pour travailler avec les populations riveraines des forêts naturelles. Les connaissances que ces populations ont sur ces produits devraient être mieux valorisées, pour les aider à augmenter leurs revenus. En effet, ces produits, dont beaucoup ne se trouvent que chez nous, font l’objet de convoitises. Les communautés rurales sont handicapées par leur méconnaissance des mécanismes des marchés, et notamment du marché international. Cela fait d’elles les proies de trafiquants en tous genres : ces derniers ne leur cèdent qu’une partie infime des bénéfices, les incitant ainsi à surexploiter les ressources.

Il se trouve que la demande mondiale en plantes médicinales et aromatiques liée au développement des médecines douces, de la diététique et de la protection de l’environnement ne cesse d’augmenter. Reconnu comme « la terre des huiles essentielles »  Madagascar occupe une grande place dans le marché florissant et plein d’avenir des HE. Etant  un pays à forte biodiversité, on y rencontre 13 000 espèces  végétales avec un taux d’endémisme  supérieur à 80%.

Plus de 70 espèces aromatiques sont exploitées, dont une trentaine endémiques. Les données statistiques du commerce montrent  une hausse significative en volume et en valeur des exportations annuelles d’HE ces dernières années : environ 1 200 tonnes en 1996,   contre 25 000 en 2008 et 65 000 en 2011.

 Les principales huiles essentielles exportées sont celles de girofle et d’ylang-ylang. » Mais, depuis 1980, l’intérêt des exportateurs pour les HE  à Madagascar concerne la production d’HE des espèces sauvages ou non cultivées, endémiques comme  le Katrafay, le Mandravasarotra, le Hazomanitra (Cryptocaria agathophyllum, ex-Ravensara aromatica), le Longoza, le Lantana camara, le Famonty etc… Cet intérêt porte aussi sur des plantes cultivées  comme le géranium, le basilic, le thym, le vétiver, le poivre,  le gingembre ou le patchouli.

Cependant, la grande variabilité chimique rencontrée au sein des HE extraites des espèces aromatiques endémiques malgaches et la non durabilité des modes de prélèvement constituent les principaux freins au développement du marché des HE. La recherche a donc fait ses preuves pour pallier ces problèmes en proposant des modes de prélèvement conciliant valorisation, qualité des produits et durabilité des modes de collecte. Ainsi, des opportunités en matière de production durable existent de nos jours.

Le Ravensara aromatica, un modèle pour la valorisation durable des ressources biologiques malgaches

Le Ravensara aromatica ou Hazomanitra (arbre qui sent bon), rencontré dans la partie sempervirente et humide de l’Est de Madagascar, est confusément appelé Ravintsara (bonne feuille), qui n’est autre que le nom vernaculaire de l’espèce Cinamomum camphora. Or, l’espèce Cinamomum camphora originaire de Chine et qui a été plantée sporadiquement sur les Hautes terres et dans d’autres régions de Madagascar est aussi appelée Ravintsara par les communautés qui les exploitent, d'où une certaine confusion. Dans cet article, nous parlerons du Ravensara aromatica, et non pas du Ravintsara ou Cinamomum camphora.

Ce sont les écorces de cet arbre qui ont été utilisées par les  populations riveraines pour soigner différentes maladies, dont principalement les maux de tête, maux de ventre, fièvres et pour la cicatrisation rapide des plaies. Depuis 1996, les exportateurs nationaux se sont intéressés à exporter des huiles essentielles (HE) des feuilles de cet arbre. Cependant, l’instabilité de la composition chimique de ces HE a provoqué une certaine méfiance chez les importateurs.

Une méthode de collecte destructrice

Ravensara aromatica est un arbre de grande taille : ne pouvant atteindre les feuilles facilement, les paysans ont tout bonnement décidé de couper l’arbre pour récolter ces dernières. Bien qu'il s'agissait d'une source de revenus supplémentaires, les faibles prix qui leur étaient payés ne les incitaient pas à faire plus d'efforts. Cette méthode destructrice mettait alors le Ravensara en danger d'extinction. C'est pourquoi, le Dispositif en Partenariat Forêts et Biodiversité leur a proposé d'effectuer la collecte par grimpe et leur a fourni le matériel nécessaire. Ce matériel facilite la grimpe et écarte les dangers de chute, qui peuvent être mortels. Le danger d'extinction est donc écarté actuellement, du moins dans les sites bénéficiant de l’encadrement du DP Forêts et Biodiversité! 

Une grande variabilité chimique

 

En général, les études menées sur les espèces aromatiques endémiques ont confirmé la variabilité chimique de leurs huiles essentielles. Cette variabilité entraîne parfois le rejet des envois par les importateurs et pourraient nuire à l’image de Madagascar.

Le Ravensara aromatica, rencontré dans la partie sempervirente et humide de l’Est de Madagascar, pourrait produire des huiles essentielles à structures aromatiques respectivement à méthyl chavicol (>90%) et à méthyl eugénol avec une teneur importante de l’ordre de 80%, des HE, caractérisées spécialement par des composés terpéniques dont l’a-terpinène (35%), le sabinène (45%) et le limonène (50%), respectivement, en moyenne. Les travaux effectués ont mis en évidence l’existence de 5 classes chimiques qualifiées de chémotypes au sein de l’espèce R. aromatica.

L’examen des facteurs susceptibles d’induire cette variabilité a été mené. Les résultats obtenus ont montré que ni la saison de récolte, ni les techniques de séchage, ni le mode de distillation (au labo et dans des alambics), n’ont d’incidence majeure sur la composition chimique des HE. Seul le terroir semble avoir une incidence sur celle-ci.

Une étude plus complète sur les différents organes a aussi été  menée montrant que :

  • quel que soit l’organe étudié, le chémotype méthyl chavicol présente une homogénéité quant à la composition chimique des HE;
  • Les HE des feuilles et celles des tiges ont la même composition chimique pour le chémotype méthyl eugénol ;
  • Les HE des feuilles et celles des tiges diffèrent pour le chémotype sabinène. Les HE des tiges renferment du méthyl chavicol à teneur importante, dans les 20%. Nous avons préconisé que seules les feuilles exemptes de tiges peuvent être distillées  pour que les HE aient la qualité requise dans la commercialisation. En effet, c’est la contamination par des composés caractéristiques d’autres chémotypes qui provoque le rejet des envois par les importateurs : chaque chémotype est destiné à des utilisations précises et la présence de composés impropres au chémotype demandé dégrade la qualité du produit.

Concrètement, le chercheur responsable a appris aux collecteurs primaires à reconnaître l’odeur des arômes recherchés par test olfactif (sniffing). La composition aromatique des différents organes diffère, en effet, d’un pied d’arbre à l’autre. La maîtrise de cette technique permet aux populations riveraines de sélectionner les arbres qui feront l’objet de prélèvements et d’effectuer, dès le départ, des prélèvements ciblés, en fonction des arômes identifiés.

Perspectives

La démarche scientifique suivie pour l’étude des huiles essentielles de Ravensara aromatica constitue un modèle pour les autres espèces endémiques ciblées par les exportateurs. Les espèces qui ont été déjà étudiées sont Cinnamosma fragrans dans la région Boeny et Cedrelopsis grevei sur le plateau Mahafaly et dans la région Boeny.

Concernant les populations riveraines, qui vivent de la cueillette des organes provenant de ces arbres, le chercheur responsable s’est aussi attelé à mettre au point et à leur diffuser une méthode de distillation optimalisée. Dès le moment de la collecte donc, les arômes sont identifiés. La distillation par chémotype permet de valoriser durablement cette espèce en évitant tout gaspillage de matières premières et surtout, de produire des huiles essentielles chémotypées, ciblées plus demandées.

En résumé, les « plus » apportés par les chercheurs à l’exploitation du Ravensara aromatica sont les suivants :

  • Collecte conservatrice utilisant le matériel et la technique de grimpe ;
  • Identification des arômes dès le stade de la collecte par test olfactif (sniffing) ;
  • Distillation des organes collectés par les paysans, leur permettant de produire des huiles essentielles chémotypées.

Il reste à considérer le problème de la valorisation de cette amélioration de la qualité, afin que les prix pratiqués encouragent les producteurs à garder ces techniques qui garantissent une production durable.